Vendredi dernier, quelques jours après les premières révélations de SoFoot, le journaliste indépendant Romain Molina a publié dans la presse norvégienne le résultat de ses deux ans d’enquêtes sur la FFF. Selon lui, durant 40 ans, la FFF aurait tenté de cacher des abus sexuels.
Des entraineurs accusés d’abus sexuels
Après avoir révélé les abus de pouvoir de Yves Jean-Bart, président de la Fédération haïtienne de football, accusé de viol sur plusieurs joueuses majeures et mineures, ainsi que les abus sexuels dans le monde du football au Gabon, Romain Molina s’est attaqué à la Fédération Française de Football et ses révélations, si elles s’avèrent vrai, sont scandaleuses. En effet, la FFF et ses cadres auraient, pendant plus de 40 ans, étouffé plusieurs affaires d’abus et de harcèlements sexuels. Parmi tous les cas cités dans l’enquête, Molina s’attarde sur Angélique Roujas et David San José. La première aurait eu des relations sexuelles avec des mineures lorsqu’elle était entraîneure responsable de la section féminine du centre de formation de Clairefontaine. En 2013, elle a été limogée par la fédération. Le deuxième a été limogé en 2020 pour « comportement inapproprié après avoir envoyé des messages d’amour à un joueur de 13 ans du centre en 2013 ». Les deux exercent encore leur métier aujourd’hui, en 2019 Roujas a pris en charge l’équipe féminine U19 du club de Ligue 2 ESOF La Roche, San José continue de travailler avec de jeunes joueurs à l’Olympique de Valence.
Parmi d’autres cas évoqués par Molina, celui d’Elisabeth Loisel, ancienne sélectionneuse de l’équipe de France féminine, qui aurait forcé des joueuses à avoir des relations sexuelles avec elle pour pouvoir être sélectionnées. Selon R. Molina, des plaintes auraient été déposées auprès de la FFF en 2004 et 2006, mais elles n’auraient jamais été examinées. En 2004, Gérard Prêcheur, entraîneur actuel du Paris Saint-Germain, était directeur de la section féminine de Clairefontaine et s’est exprimé sur Loisel auprès de la police : « j’ai exprimé le souhait de partir. J’avais deux divergences d’approche avec Élisabeth Loisel, la directrice de l’équipe nationale. D’abord, je privilégiais l’aspect technique et elle privilégiait l’aspect sportif. Deuxièmement, je me suis rendu compte qu’elle favorisait aussi certaines joueuses en raison de leur orientation sexuelle (homosexuelle). » (source : Josimar). Aujourd’hui, Elisabeth Loisel est toujours instructrice FIFA et a souhaité faire valoir son droit de réponse.
J’ai dit à mes joueuses qu’elles pouvaient aller à Clairefontaine mais que si elles voulaient y aller, il y aurait des risques
Les propos d’un ancien président d’un club féminin sur Elisabeth Loisel à Josimar
Dans l’enquête, on retrouve aussi Gaëlle Dumas, ancienne sélectionneuse des jeunes de l’équipe de France, qui a quitté son poste après que des plaintes de harcèlement aient été déposées contre elle par des jeunes filles mineures au centre d’excellence de Blagnac, propriété de la FFF. Cette dernière sera jugée en novembre.
J’ai été victime (d’Angélique Roujas) à Clairefontaine, je sais ce qui s’est passé et je sais que j’ai eu du mal à me reconstruire. Aujourd’hui encore, je ne veux pas en parler publiquement car c’est douloureux et je ne suis pas sûre d’être soutenue. J’en ai parlé à certains responsables de la fédération, dont Brigitte Henriques, la vice-présidente de l’époque, mais que s’est-il passé ? Rien. Ils n’ont rien fait.
Une ancienne internationale française dans les colonnes de Josimar, journal qui publie l’enquête
L’inaction de la FFF
Ce que ces affaires révèlent, si elles sont vraies, c’est l’inaction de la FFF. « Quand il se passe quelque chose, on se tait. C’est comme ça que ça marche, témoigne un ancien membre du conseil d’administration de la Fédération auprès de Josimar. Sinon, c’est fini pour toi. Ils sont trop puissants. A la seconde où tu parles des abus, tu es hors jeu. Ce n’est pas seulement la FFF mais aussi la LFP (ligue de football professionnel), les clubs. Avez-vous vu le nombre de cas auxquels nous avons été confrontés ces deux dernières années ? Qu’avons-nous fait pour protéger nos enfants ? ».
Sur toutes les affaires citées, la FFF n’aurait prévenu qu’une fois les autorités alors que la loi française l’exige pour tous les cas. Un seul courrier écrit par Noël Le Graët en 2013, alors que les premiers faits remonteraient à 2004, a été recensé, concernant Roujas. « Nous avons menacé la FFF de refuser de jouer si elle était autorisée à faire partie de l’encadrement de l’équipe nationale, explique une joueuse à Josimar. C’est pourquoi ils ont pris cette décision après presque dix ans d’inaction. » Toujours selon Molina dans Josimar : « Toutes les personnalités politiques mentionnées (les anciennes ministres des sports Najat Vallaud-Belkacem et Valérie Fourneyron, l’ancien secrétaire d’Etat aux sports Thierry Braillard, et les anciens conseillers sportifs du président de l’époque, Thierry Rey et Nathalie Iannetta) ont confirmé n’avoir été alertés pour aucun de ces cas. »
La fédération est comme un salon de coiffure – tout le monde parle à tout le monde. Ils sont tous au courant de ces affaires, mais elles sont très vite enterrées. C’est une politique du silence. Ils sont comme des autruches, la tête dans le sable. Si vous parlez, vous êtes éliminé.
Un ancien directeur de la FFF à propos de la FFF dans Josimar
Le journaliste conclu son enquête en rappelant que « Selon la loi française, article 434-1, 434-3 et 434-4, ne pas informer les autorités lorsque l’on a connaissance d’un délit peut être sanctionné de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. »