Une équipe de France peu convaincante, des stades qui peinent à se remplir en championnat, des conditions de diffusions peu convenables et les deux équipes phares françaises à la peine en ce début d’année en UWCL, chaque saison le football féminin français semble stagner et perdre ainsi toute l’avance qu’il avait par rapport à ses voisins européens. Pourtant, à la tête de la FFF tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes et Noël Le Graët capitalise encore sur un mondial réussi en termes de spectacle en 2019… Si l’on compare la gestion de l’équipe nationale ainsi que celle du championnat français à celles de l’Angleterre, l’Espagne, l’Italie et l’Allemagne, on peut se demander si le football féminin français a du mal à se remettre en question.
Des alertes toujours pas prises au sérieux
En mars dernier, le président lyonnais, Jean-Michel Aulas, faisait déjà état du retard de la France dans les colonnes de L’Equipe : « On est en train de prendre du retard car d’autres ont accéléré plus vite. En mettant des moyens économiques et financiers de manière prioritaire sur le football féminin, il est indéniable que des nations avancent plus vite. » Celui qui est considéré comme un précurseur dans le monde du football féminin a ainsi rejoint les propos de sa serial buteuse et première Ballon d’Or de l’histoire, Ada Hegerberg. Cette dernière avait fustigé la FFF sur Twitter après que la fédération se soit déclarée candidate à l’Euro 2025.
Ces alertes ont été rejoint dans le clan lyonnais par Bompastor qui, quelques jours avant la finale de Champion’s League, pointait du doigt les manquements de la FFF : « Il faut améliorer les infrastructures, les stades, les conditions de retransmission à la TV. La Fédération doit avancer sur pas mal de sujets » . La capitaine des Bleues et de l’OL, Wendie Renard, a aussi fini par s’exprimer sur la question en septembre dernier en demandant à la FFF d’accélérer.
Le bloc lyonnais semble vouloir tirer le championnat de France vers le haut et ne pas se faire distancer par ses voisins européens. Pourtant, même si la FFF reste l’actrice principale du retard de son championnat et de ses équipes, l’OL devrait aussi se remettre en question sur la façon de promouvoir son équipe féminine. 21 mai 2022, finale de la Ligue des Championne, sûrement la finale avec le plus d’histoire entre une équipe du Barça qui se proclame nouvelle reine d’Europe et l’OL qui vient reconquérir son titre. Le Juventus Stadium a tout pour être le théâtre d’un duel iconique. Pourtant, dans les tribunes, le match est remporté par les supporters barcelonais. Plus de 10 000 d’entre eux ont parcouru les 870 km qui séparent Barcelone de Turin, profitant des offres mis en place par le club pour le déplacement mais aussi de l’engouement qu’ont su susciter les dirigeants du Barça autour de leur équipe féminine tout au long de l’année, notamment en remplissant le Camp Nou par deux fois, certes avec des places aux prix réduits et avec des invitations, mais le geste est fort, le résultat retentissant et les afficionados tombent encore plus amoureux de leur équipe. Du côté lyonnais, ils sont 3 000 à faire les 310 km entre Lyon et Turin, certes plus nombreux que les années précédentes, mais ce n’est toujours pas assez pour une équipe qui allait, ce soir-là, remporter son 8ème titre européen. Ce constat est encore plus alarmant lorsque sur la place de la Place de la Comédie, ils ne sont qu’une centaine de supporters à accueillir les récentes championnes d’Europe, là où du côté barcelonais, ils sont des milliers à féliciter leurs joueuses malgré la défaite. En cause ? La communication du club et de la ville qui envoient un tweet dans la nuit pour prévenir de la célébration. Pour Lyon, c’est une nouvelle désillusion dans l’affluence. En demi-finale face au PSG, le Groupama Stadium a eu du mal à réunir 25 000 spectateurs alors que le club de la capitale a établi le nouveau record d’affluence en France avec un Parc des Princes qui a accueilli 43 000 personnes dans une ferveur des grands soirs.
L’Olympique Lyonnais n’a pas su capitaliser sur le fait d’être la meilleure équipe du monde pour créer un engouement important autour de ses joueuses. Cependant, même s’il a un déficit au niveau de ses supporters et malgré un début de saison compliqué, l’OL reste l’un des meilleurs clubs du monde en termes d’infrastructures, de moyens financiers pour son équipe féminine et de professionnalisme. Le club lyonnais pourrait perdre tout cela si d’autres clubs et la FFF continuent de se désintéresser du football féminin.
Le rôle de la FFF, des clubs et des médias
Le 27 mai dernier, les joueuses du Stade de Reims se présentaient ensemble en conférence de presse, en colère. Elles se sont vu refuser le droit de jouer le dernier match de la saison à Delaune, match qui les opposait au PSG. Pourtant, quelques jours avant le club leur a laissé le choix entre Delaune ou le terrain synthétique habituel. Les joueuses ont donc logiquement voté pour le grand stade, Rachel Corboz évoquait en conférence de presse les raisons de ce choix : « Un vote a été effectué dans l’équipe et nous avons choisi de jouer à Delaune pour plusieurs raisons : une récompense de notre bonne saison, pour le plaisir, pour le public, nos familles, nos amis et surtout l’image de la Division 1 Féminine. Les venues de grandes écuries comme le Paris Saint-Germain sont aussi l’occasion de mettre notre club et notre équipe en avant. » . Ce choix n’a pas été respecté par le club car quelques jours avant, le district de la Marne fêtait ses 100 ans avec les finales de coupes départementales et des plateaux jeunes sur la pelouse du stade rémois, il était impossible de retracer les lignes à temps pour la rencontre. De plus, le Stade de Reims devait changer la pelouse en vue de la nouvelle saison de Ligue 1 qui démarrait des semaines plus tard. Le match a donc eu lieu sur la pelouse synthétique dans un stade qui n’est pas fait pour attirer un grand nombre de public.
Cette histoire reflète les difficultés rencontrées en D1 Arkema pour pouvoir attirer du public. Cette saison, parmi les 12 clubs de D1, seuls Le Havre et le Paris FC jouent chaque match à domicile dans leur stade principal, capable d’accueillir plus de 10 000 personnes. Les terrains sur lesquels les équipes jouent chaque week-end sont souvent pointés du doigt. Certains clubs proposant des pelouses inadaptées au haut niveau et des stades champêtres dignes d’équipe évoluant en régionale. De plus, ces stades n’ont pas les équipements nécessaires pour accueillir les caméras de Canal + qui diffusent le championnat. La chaîne télé se retrouve à placer son matériel sur des échafaudages et ne garantit pas une transmission digne d’une chaîne payante.
Le championnat français n’est toujours pas professionnel et cela se voit dans toutes ses logistiques. Le contrat de diffusion par Canal + se termine en 2023 et la chaîne ne se précipite pas pour le renouveler, là où à l’étranger, le montant des contrats de diffusion atteignent des records. En 2021, la BBC et Sky Sport décident d’investir 28 millions d’euros sur trois saisons pour pouvoir diffuser la FAWSL en Angleterre. Ce qui fait environ 9,3 millions d’euros par saison contre 1,2 million déboursé par Canal en France. Après deux mois de diffusion, Sky Sport et la BBC déclarent que chaque journée il y a en moyenne 615 000 téléspectateurs. Sky Sport, qui est une chaîne payante, ramène 114 000 téléspectateurs, à contrario la BBC qui diffuse les matchs gratuitement rapporte 501 000 téléspectateurs. Pour les matchs d’ouverture 1,5 million de personnes étaient devant leur télévision. L’émission de la BBC consacrée au football féminin, le «Women’s Football Show », a réalisé un pic d’audience à un million de téléspectateurs. Tout ça lors de la saison 2021/22, avant le titre de championnes d’Europe des Anglaises. Du côté espagnol, en septembre 2022, DAZN s’est offert les droits de diffusion du championnat sur cinq saisons pour 35 millions d’euros, soit 7 millions d’euros par saison. Pour la saison 2022/23 la chaîne a fait le choix de diffuser les matchs gratuitement sur Youtube, comme pour la Ligue des Championnes. Cependant, DAZN ne lésine pas sur les moyens mis à disposition pendant les matchs en proposant une offre unique dans le monde du football féminin. Elle garantit une diffusion de haute qualité avec un minimum de quatre à six caméras par match.
Pourquoi les autres pays européens avancent plus vite ?
L’exemple anglais est l’un des plus déconcertants. En 2022, la finale de la FA Cup, se déroulant à Wembley entre Manchester City et Chelsea, attire plus de 50 000 personnes. Toujours en 2022, Newcastle, club possédant une équipe féminine en quatrième division, a vu son premier match féminin à St James’ Park accueillir 22 000 spectateurs. Pourtant, moins de dix ans auparavant, en 2016 le championnat anglais comptait seulement neuf équipes semi-professionnelles et la saison se déroulait en été de mars à septembre. Le football anglais était incompatible avec les exigences européennes et mondiales. La saison d’après, la fédération anglaise a décidé de se mettre à la hauteur et a exigé de la part des clubs de payer les joueuses minimum seize heures par semaine et de créer des centres de formations féminins dans leurs infrastructures. Ce bouleversement permet à de gros clubs comme Manchester United de monter directement en deuxième division sur critère économique, mais cela permet aussi de rendre le championnat plus attractif. Le sponsor du championnat masculin : Barclay’s, décide de sponsoriser le championnat féminin et débourse dix millions de livres pour s’offrir le naming de la FAWSL en 2019. A contrario en France, Arkema n’a déboursé que 3,6 millions en 2019 pour s’offrir le naming de la D1 jusqu’en 2022. Ce contrat a été prolongé jusqu’en 2025, pour la somme d’1,2 million d’euros par saison. Enfin, pour booster la visibilité de son championnat, la FA diffuse les matchs gratuitement dans le monde grâce à l’application FA Player lancée par la fédération anglaise ainsi que grâce à la BBC qui diffuse les matchs gratuitement en Angleterre (voir ci-dessus). Aujourd’hui, le championnat anglais commence à devenir l’un des plus attractifs et la victoire anglaise à l’Euro vient récompenser les investissements, au début à perte, consentis de la part de la fédération.
Du côté espagnol, le changement est venu de la part de certains clubs qui ont investi dans leurs équipes féminines, comme l’Atlético ou le FC Barcelone, mais aussi de la part des joueuses. En novembre 2019, se rendant compte de la popularité croissante de leur championnat, les joueuses de première division espagnole entrent en grève et exigent de meilleures conditions de travail et un salaire minimum. Après un mois de grève, elles trouvent un accord pour rédiger une convention collective. En 2021, le Conseil Supérieur des Sports espagnol vote la professionnalisation du championnat. Cette professionnalisation apporte des droits non-négligeables aux joueuses comme la garantie d’un salaire minimum de 16 000 euros par an pour les joueuses à temps plein, des règles concernant les temps de travail et de repos ainsi que des garanties pour les joueuses en période de maternité. La professionnalisation du championnat espagnol a été rendue également possible grâce à l’appui de femmes politiques, comme Maritxell Batet et Carmen Calvo qui ont poussé pour que l’accord soit signé. Les efforts consentis pour pousser le foot féminin se font ressentir lorsque le jour la finale de la Ligue des Championnes, le FC Barcelone féminin se retrouve en une du journal Sport ou encore Mundo Deportivo, alors que du côté français L’Equipe choisit d’honorer la rencontre Marseille-Strasbourg, minimisant ainsi l’importance de l’exploit lyonnais qui entame sa 10e finale en 12 douze ans.
Le fait que le football féminin en Espagne ou en Angleterre soit en plein essor, attire les particuliers et trouve sa place dans les médias, est dû aux investissements consentis de la part des clubs, des fédérations et des médias. Ces exemples sont d’ailleurs suivis par l’Italie qui a décidé de professionnaliser son championnat. Pauline Peyraud-Magnin témoigne au micro de RMC Sport : « On tend vers cette évolution, nous faire jouer dans les grands stades. Les clubs font énormément de choses pour ce football féminin. On est beaucoup suivies, on fait beaucoup d’échanges entre garçons et filles. Les gens nous suivent à Turin, ils s’intéressent vraiment au foot. Cela ne m’est jamais arrivé auparavant » . En Allemagne, des clubs comme Wolfsburg ouvrent leur stade principal à leur équipe féminine, ce qui fait que le record de spectateurs sur une saison a déjà été atteint au bout de sept journées de championnat. Les clubs allemands ont su capitaliser sur les bons résultats de la Nationalmannschaft à l’Euro et sur l’engouement autour de ses joueuses. Là où la FFF n’a pas su le faire après la Coupe du Monde 2019…
Ce début de saison est une véritable claque pour le football féminin français qui commence à accuser un retard sur tous les plans face à leurs voisins européens, sans parler du championnat américain ou même mexicain qui attirent de plus en plus les foules. La commission sur le football féminin français, mise en place par la FFF l’année dernière, n’a toujours rien apporté de concret. Les clubs ne peuvent toujours pas accueillir de centre de formation féminin et les joueuses n’ont toujours pas de garanties sur leur statut et dépendent du bon vouloir des clubs pour les accompagner lors de grossesses ou de grosses blessures. Solène Durand, internationale française, en témoigne lorsque Dijon l’a délaissé après que cette dernière se soit fait les croisés. Mais à côté de cela, Le Graët, président de la FFF, se félicite des résultats toujours inexistants de l’équipe nationale et se cache derrière la domination lyonnaise sur le plan européen. Domination seulement dûe aux investissements non négligeables de Jean-Michel Aulas. Le football féminin français est à un tournant majeur de son histoire et le temps est plus que compté pour pouvoir monter dans le bon wagon et ne pas se faire distancer par les autres pays européens. C’est à la FFF, aux clubs et aux médias d’agir avant que l’on ne finisse par parler des exploits lyonnais au passé.